Historique de la notion diathésique

Hahnemann a inventé et construit l’homéopathie comme étant​ l’application rigoureuse d’un principe thérapeutique d’essence​ universelle, la loi des semblables.

« Dans l’organisme vivant une affection dynamique plus faible est éteinte d’une​ manière durable par une plus forte si celle-ci (différente de celle-là par sa nature) lui ressemble beaucoup par sa manifestation. »
Organon, § 26.

Tel est l’exposé initial, fondateur, du principe hahnemannien​ de similitude.​ Cette loi est souvent énoncée en une formulation pharmacologique plus accessible à l’esprit moderne, en tout cas de portée plus​ pratique, mais réductrice

« Toute substance qui, administrée à dose forte à l’bomme en bonne santé​ déclenche des troubles déterminés fera, à dose faible, disparaître des troubles semblables chez le malade. »

L’aspect vitaliste de la pensée d’Hahnemann a disparu pour se réduire à la simple posologie pharmacopraxique.

L’homéopathie se caractérise ainsi par l’emploi de l’infime, de l’infinitésimal, la fameuse « dose homéopathique », terme passé dans le langage courant et qui n’est guère synonyme d’efficacité. Cela est loin d’être tout à fait exact, comme nous le verrons.

Les dates qui jalonnent le chemin conduisant à la mise en œuvre rigoureuse de la similitude sont précises. Il convient de les rappeler pour avoir une idée claire de l’évolution de la pensée d’Hahnemann dans cette histoire de la diathèse.

1790 année de la Révolution française, Hahnemann  a l’intuition, en étudiant l’article consacré au quinquina, que l’activité fébrifuge de cette substance a des raisons autres que celles d’une quelconque activité « roborative » sur l’estomac. II expérimente alors sur lui-même cette poudre de quinquina et constate qu’il développe des symptômes analogues à une fièvre périodique. Il note alors de sa main, en marge de l’ouvrage qu’il traduit, cette phrase, véritable acte de naissance de l’homéopathie : « Des substances provoquant une sorte de fièvre peuvent guérir la fièvre. » Le quinquina est devenu notre grand CHINA.

1796: Hahnemann publie l’article médical princeps qui le pose à la face du monde en inventeur de l’homéopathie. Ce sera dans la revue médicale de son ami le Pr Hufeland, son Essai sur un nouveau principe pour découvrir les vertus curatives des remèdes. On y trouve, exprimé clairement, le premier énoncé de la Loi des Semblables.

1805: publication des premières auto-expérimentation sintéressant 27 substances choisies parmi les grands médicaments et poisons de son époque. Ce sont les premières pathogénésies hahnemanniennes.

– 1810: publication de l’Organon de l’art de quérir. C’est là l’ouvrage maître de la doctrine homéopathique où sont exposés tous les principes et toutes les techniques d’application de la méthode.Hahnemann le remaniera et l’enrichira tout au long de sa vie. De son vivant, il publiera cing éditions. Une sixième verra le jour à titre posthume en 1921.

1811-1821: réalisation par Hahnemann lui-même, et par des élèves et disciples, de nombreuses pathogénésies qui seront publiées dans les six volumes de la Matière médicale homéopathique expérimentale.

Tout paraît alors aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, comme le proclame Leibnitz, philosophe fort à la mode à l’époque.

Certes, Hahnemann est en butte aux attaques les plus violentes de l’école médicale officielle attachée au pondérable. Il doit se battre et, à plusieurs reprises, fuir l’hostilité de ses confrères. Heureusement, il sut conquérir l’estime et l’amitié du duc d’Anhalt-Köthen et put travailler en paix à Köthen, la capitale du duché où il s’installe en 1821.

Pendant tout ce temps, la similitude est, pour Hahnemann, un dogme intangible. Toute substance qui guérit ne peut le faire que par similitude. Aucun symptôme pathologique ne peut résister à la similitude. Celui qui ose contester cela est ennemi à combattre

La réalité clinique devait se révéler différente. La chose d’ailleurs n’a rien d’étonnant. En médecine il n’existe pas de phénomène acquis. La sensibilité individuelle, le génie épidémique, le progrès scientifique, remettent en cause des lois, des techniques qu’on aurait pu croire définitivement établies. Bien des a priori sont à réviser, la réalité devant toujours primer la théorie.

Il parut en être de même de la similitude. Apparemment, elle ne guérissait pas tout. Hahnemann fut le premier à le constater.

Certains malades, traités par un semblable – le Simillimum soigneusement choisi, n’étaient que peu, ou même pas du tout, améliorés. D’autres, après quelque temps d’accalmie, rechutaient. Plus curieux: quelques-uns, débarrassés de leurs troubles, théoriquement totalement guéris, développaient irrésistiblement une autre pathologie, sans rapport avec la première, et puis, guéris à nouveau, s’enfonçaient encore dans d’autres affections, se traînant ainsi, interminablement valétudinaires.

Pour Hahnemann, esprit parfaitement honnête, comme tout médecin doit l’être, il n’était pas question de dissimuler ces échecs. Mais le choc fut rude pour cet homme au caractère entier, certain d’avoir raison.

Sa réaction eût pu être parfaitement négative, et remettre en cause le principe de similitude, voire l’homéopathie tout entière. Hahnemann en était capable au nom de la morale scientifique.

Mais, de cette crise intellectuelle naquit une hypothèse extrêmement hardie, fondamentalement nouvelle, magnifiquement féconde, celle de la « maladie chronique » sous-jacente à la « maladie aiguë » et, en corollaire, la nécessité d’interpréter la similitude de manière élargie.

Hahnemann prit conscience, par l’observation, que derrière toute affection aiguë il y avait un trouble chronique sous-jacent causant et expliquant la symptomatologie aiguë. Pour guérir le malade définitivement de sa pathologie, il fallait traiter non seulement l’aigu mais également, concomitamment ou successivement, le chronique, cela ne pouvant se faire qu’en diagnostiguant le Simillimum adapté au trouble chronique.

C’est là l’introduction de la notion tout à fait originale d’un « terrain » spécifique à l’individu, conditionnant l’évolution d’une pathologie, devant être pris en charge et traité par un Simillimum de terrain pour obtenir une guérison définitive.

1828 sera l’année de cette grande révolution culturelle homéopathique et la révélation de cette immense découverte médicale.

C’est en effet dans son Traité des maladies chroniques’ publié en l’an 1828 qu’Hahnemann expose avec sa fougue coutumière

« Jusqu’ici l’homéopathie… a montré d’une façon évidente une prééminence marquée sur les méthodes allopathiques dans le traitement des manifestations aiguës… et dans celui des maladies collectives. »

Cette catégorie de « maladies collectives » désigne les épidémies, sans doute celle de typhus qui ravagea les armées napoléoniennes et puis, précisément, la fameuse épidémie de choléra qui, venant des Indes, décime à ce moment l’Europe. Les techniques prônées par Hahnemann s’y illustrèrent. CAMPHORA, CUPRUM et VERATRUM furent ainsi les trois médicaments historiques du choléra. Leur succès fit beaucoup pour la diffusion de l’homéopathie. Malheureusement les malades traités par notre méthode furent peu nombreux car les médecins homéopathes étaient eux-mêmes peu nombreux. L’épidémie fit plus d’un million de morts.

En revanche, énonce avec lucidité Hahnemann, dans le domaine des maladies évoluant sur le mode chronique:

« Sous l’influence des remèdes homéopathiques les mieux appropriés… on voyait la maladie progresser par l’apparition de symptômes évolutifs. Malgré la sélection la plus rigoureuse des remèdes homéopathiques…. le résultat était toujours incomplet, médiocre. Les rechutes fréquentes finissaient par rendre les remèdes homéopathiques d’autant moins efficaces qu’on les répétait plus souvent. Pour finir, ils n’apportaient plus qu’un soulagement très précaire. »

Le constat est alors cruel mais clairement posé: Et pourtant ces résultats décevants étaient l’application de la doctrine homéopathique appuyée sur des fondements inébranlables.  Cette doctrine est cependant basée sur la vérité elle-même et le restera de toute éternité. ».

II n’est donc pas question de se renier. Alors, pourquoi l’échec ?

 Hahnemann soliloque :

« Tel est le problème sérieux dont je me suis occupé jour et nuit depuis les années 1817, peut-être 1816. »

Donc, pendant que lui-même et ses élèves faisaient leurs expérimentations pathogénétiques.

« C’est dans le plus grand secret que j’ai travaillé et suis parvenu grâce à une ardeur et des efforts inouïs à ce grand œuvre. »

Et voilà l’éclat de la découverte de notre vieil alchimiste de la médecine. II a 73 ans.

« C’est un fait avéré que les maladies chroniques non vénériennes ont tendance à récidives continuellement malgré un traitement homéopathique rigoureux. Ces récidives se caractérisent

– par la modification plus ou moins marquée de leur symptomatologie,
– par l’apparition de symptômes nouveaux,
– par la progressivité de leur évolution d’année en année. »

Il en résulte donc que:

 « Le praticien ne doit pas essayer de guérir chaque récidive comme une maladie temporaire isolée. Il doit les considérer comme l’exacerbation d’une entité morbide plus générale, profonde devant être traitée en tenant compte de sa totalité. »

Ici, apparaît déjà la notion d’un « terrain » pathologique permanent sous-jacent à l’affection aiguë.

C’est donc en tenant compte de la totalité des symptômes de ce mal chronique que nous pourrons sélectionner un Simillimum efficace: « Il est nécessaire de connaître l’image aussi étendue que possible de l’universalité de tous les symptômes propres à ce mal primitif inconnu avant de pouvoir découvrir un ou plusieurs remèdes vraiment homéopathiques à ce dernier. Ce ou ces remèdes devront être capables d’encouvrir les symptômes caractéristiques afin de le guérir dans sa totalité. »

Ainsi Hahnemann, prenant acte de l’existence d’une maladie chronique jusque-là passée inaperçue et dont le diagnostic ne peut se faire que sur les symptômes observés, rétablit l’universalité du principe de similitude puisque le diagnostic du médicament homéopathique s’appuiera sur toute cette symptomatologie définissant la maladie chronique.

Le Simillimum peut donc guérir la maladie chronique, mais à condition de le soucher sur l’ensemble des symptômes du mal chronique.

Il faut donc rechercher et recueillir avec soin la totalité des symptômes pathognomoniques du terrain pathologique à traiter pour diagnostiquer le Simillimum efficace.

Pour atteindre à cette universalité des symptômes définissant le terrain chronique, il faut relever non seulement les symptômes présentés le jour de la consultation par le malade, mais étudier toute son histoire pathologique en remontant son propre passé comme celui de ses ascendants directs. Toute maladie passée s’intègre au tableau symptomatique de la maladie chronique, donc du terrain pathologique.

C’est ainsi que se diagnostiquera un médicament dont la pathogénésie coïncidera avec cet ensemble pathologique élargi au passé. La similitude se répartit, se fragmente à différents moments du temps.

Arrivé à ce stade de réflexion, Hahnemann pose le problème de l’origine de la maladie chronique.

On aura noté déjà qu’Hahnemann distingue maladies chroniques vénériennes et maladies chroniques non vénériennes.

Dans tous les cas, quel que soit le cas, la perturbation de l’énergie vitale – la Dynamis – qui est à l’origine de la maladie aiguë ou chronique, a une cause. II n’y a pas d’effet sans cause, pour Hahnemann comme pour nous tous.

La médecine contemporaine d’Hahnemann ignore évidemment bactéries et virus. On va donc désigner le principe initial pathogène par un terme vague très à la mode impliquant contagiosité et invisibilité, le miasme.

En matière de maladies vénériennes, le miasme est reconnu, sinon connu. Une syphilis, la maladie chancreuse, une blennorragie, la maladie des fics, s’attrapent. Tout le monde le sait parce qu’il peut le constater, soit sur lui-même, soit sur les malades.

En revanche, pour toutes les autres affections non vénériennes évoluant sur le mode chronique, non contractées en « faisant l’amour » – et il y en a – la question reste en suspens.

Hahnemann élabore alors le concept d’une troisième grande maladie chronique dont l’unité s’exprime dans l’atteinte cutanée, la « maladie de peau », impliquant une communauté miasmatique causale. Il l’appellera la psore.

« Ma deuxième révelation fut de pouvoir déterminer la nature miasmatique chronique de cette diathèse profondément enracinée. Il s’agit d’une éruption galeuse ancienne. »

Cette éruption galeuse – en latin, psorea désigne la gale – pourra avoir été « constatée et avouée » ou, au contraire, n’avoir été remarquée, ou oubliée. Mais à « l’interrogatoire très serré », on retrouvera toujours des « traces discrètes de cette affection : boutons de gale, dartres ».

Le passé pathologique du patient, mis en lumière par l’interrogatoire, doit donc être pris en charge dans notre analyse diathésique. Il ne s’agit plus d’une maladie de peau qui existe. Il s’agit d’une maladie de peau qui a existé, qui a pu être oubliée.

« J’appris à connaître des remèdes efficaces contre cette profonde diathèse, source de tant de maux, que je nommerai du terme générique, la psore, maladie galeuse interne, avec ou sans expression cutanée. »

Tel est l’acte de naissance de cette immense diathèse qu’est la psore, actuelle et apparente pour certains malades mais aussi ancienne, effacée, refoulée pour d’autres.

Par analogie avec les maladies vénériennes et principalement la syphilis qui, apparemment, guérissent spontanément leur accident initial tout en continuant leur cours profond, Hahnemann implique l’existence d’un miasme originel de la psore, le miasme galeux, apparemment disparu, mais continuant son évolution en profondeur.

Il est difficile d’identifier totalement le miasme psorique au parasite de la gale. Le sarcopte n’a été découvert que vers 1822, donc un peu tard pour qu’Hahnemann en ait une connaissance précise au moment de l’élaboration de la théorie des maladies chroniques. On en parlait certes, mais il n’était pas démontré.

Comme le soulignait Jahr, les homéopathes de l’époque discutaient déjà pour savoir si le sarcopte observé dans les lésions galeuses était bien à l’origine de la gale, ou s’il n’était pas que le témoin d’une psore préexistante. Lequel donc était le primum movens ? Eternelle question.

Rappelons enfin que la nosographie dermatologique historique était fort imprécise. On baptisait « gale » toute une foule d’affections cutanées, dartres, eczéma, mycoses, psoriasis – d’où ce nom et peut-être même lèpre. Job sur son fumier était-il psorique ou syphilitique?

Le terme « miasme » est très vague, peu scientifique. Au Dictionnaire de Littré figure la définition: « Miasme: agent qui, bien qu’inappréciable le plus souvent par les procédés de la physique ou de la chimie, se répand dans l’air, adhère à certains corps avec plus ou moins de ténacité et exerce sur l’économie animale une influence plus ou moins pernicieuse. »

On parlera ainsi par exemple d’émanations miasmatique Hahnemann adopte lui-même l’expression. Dans ses Maladies chroniques, il écrit précisément à propos des difficultés d’adaptation aux régions marécageuses qu’il a vécues personnellement:

« N’en serait-il pas empêché (de s’adapter) par ce redoutable ennemi de la santé que j’ai appelé psore que les effluves et miasmes qui se dégagent des endroits marécageux et humides, et cela surtout dans les contrées chaudes font surgir des profondeurs de l’économie, favorisant le déploiement des affections chroniques de toutes espèces et plus particulièrement celles qui affectent le foie. »

II apparaît donc lumineusement à Hahnemann, comme il l’exprimera avec force dès la 4ème édition de l’Organon (1829) et dans les éditions ultérieures que:

§ 72: «Les maladies humaines se divisent en deux classes :
– Les unes sont des manifestations subites d’aberrations du principe vital déséquilibré. Livrées à elles-mêmes, la durée de leur évolution est variable mais toujours passagère. On les appelle maladies aiguës.
– Les autres, à leur début, insignifiantes, souvent même imperceptibles, saisissent l’organisme, chacune à leur manière, et le dérèglent dynamiquement.

Peu à peu, l’éloignement de l’état de santé devient tel que l’énergie vitale automatique (force vitale) ne peut opposer qu’une résistance imparfaite, mal dirigée, vaine.

La force vitale, dans son impuissance à les éteindre par elle-même, est obligée de laisser croître ces maladies. Son dérèglement ne fait qu’augmenter jusqu’à la destruction finale de l’organisme. Ce sont les maladies chroniques. Elles proviennent d’un contage dynamique par un miasme chronique. »

L’importance qu’attache Hahnemann à l’énergétique, à la dynamique, est tout à fait fondamentale et ici bien mise en relief. La force vitale, la Dynamis, est omniprésente dans les écrits hahnemanniens. Toute pathologie résulte de la perturbation de cette dynamis. C’est sur elle que le médecin doit agir par le jeu de ses dynamisations médicamenteuses appelées par la similitude.

Les diathèses sont l’expression dynamique de la pathologie chronique. Elles sont programmation pulsée vers un but pathologique.

Hahnemann précise et conclut au paragraphe 204 de son Organon:

« Si l’on excepte les troubles fonctionnels qui tiennent à une vie contraire à l’hygiène ainsi que ces innombrables intoxications médicamenteuses, la plus grande partie des maladies chroniques est la conséquence du développement des trois miasmes chroniques: la syphilis interne, la sycose interne et surtout, dans une bien plus forte proportion, la psore interne. »

La maladie chronique ou diathèse est donc bien dès les départ, pour Hahnemann, un état permanent de l’organisme, d’origine exogène miasmatique, programmant les pathologies diverses observées et devant être traité pour guérir le malade.

Ainsi se trouvent établies les bases d’un terrain spécifique à chacun, conditionnant son destin pathologique des maladies chroniques et de leur origine miasmatique fut contestée par un grand nombre d’homéopathes contemporains. Il y eut un énorme rejet qui stupéfia Hahnemann. On lui objecta que seule était fondamentale l’application rigoureuse de la similitude observée dans le moment présent de sa symptomatologie.

Jahr, qui fut un des hommes les plus proches d’Hahnemann, écrit: « Nous arrivons maintenant au point le plus délicat de la pathologie d’Hahnemann, savoir sa théorie des maladies chroniques et, en particulier celle de la psore.

Jamais nouvelle théorie n’a peut-être fait plus de sensation que celle-ci au moment de sa première apparition.

Dans cette contestation médicale, la psore est particulièrement visée. Jahr ne s’y trompe pas.

La découverte du sarcopte de la gale, la probation par les épidémiologistes, dans cette deuxième moitié du XIX siècle, de son rôle étiologique, font de la gale une maladie parasitaire bien définie, au territoire pathologique restreint, sans commune mesure avec l’immense domaine attribué par Hahnemann à la psore.

La notion de maladie chronique sera discutée, rejetée, occultée ou minorisée par une très grande majorité d’homéopathie français, allemands, américains ou autres. Kent, Hering, l’école de Philadelphie, sans la rejeter, n’y attachèrent pas une importance fondamentale, privilégiant toujours le Simillimum immédiat.

Certes, pour les maladies vénériennes la notion de chronicité en l’absence de soins précis et celle d’un contage externe, donc d’un « miasme », sont acquises. La luèse, assimilée à la syphilis, la sycose, réduite à la blennorragie, se contractent par contact sexuel. Nul ne discute plus la chose, surtout depuis les découvertes du tréponème et du gonocoque. Mais leur place dans la pathologie chronique reste apparemment limitée.

En revanche, pour la psore, la discussion reste très ouverte. Il apparaîtrait, en effet, difficile d’attribuer à des gales « rentrées » même autres que parasitaires, les trois quarts de la pathologie fonctionnelle courante, allant de la migraine aux hémorroïdes, de la colique hépatique au lumbago.

La diathèse va tomber dans un oubli relatif. Il faudra attendre le début du XXème siècle pour voir se revaloriser cette notion de maladie chronique. Cela se fera grâce aux géniales intuitions d’Antoine Nebel, médecin à Lausanne, et à la clarté clinique de Léon Vannier.

L’approche analytique de Nebel, conduite dans l’optique de l’observation hahnemannienne, le mène à définir deux nouvelles diathèses, le tuberculinisme et le cancérinisme, reflets de la pathologie moderne.

Antoine Nebel était médecin homéopathe à Montreux puis à Lausanne (Suisse). Avec quelques autres dont H. Duprat, R. Baudry, J.-A. Lathoud, il fut membre fondateur de la Société rhodanienne d’homéopathie rassemblant des homéopathes français, surtout lyonnais, et suisses, essentiellement vaudois. Nebel fut un esprit éminemment intuitif, admirablement créatif.

Il était pluraliste, voire même complexiste, c’est-à-dire qu’il prescrivait plusieurs médicaments concomitamment pour traiter un malade. Il n’était absolument pas uniciste. Il disait: « Hahnemann nous a légué une ossature. N’en faisons pas une ossification ! » Cela ne l’empêchait pas d’être un excellent ami d’unicistes du niveau de Duprat ou de Pierre Schmidt.

C’est lui qui élabora la théorie du drainage. Il mit ainsi au point de nombreuses formules complexes dont le fameux « Chrysis », médicament cancérinique. Il préconisait abondamment l’organothérapie dynamisée.

C’est encore lui qui individualisa nos trois grandes constitutions: carbonique, phosphorique, fluorique, outre les deux modes réactionnels diathésiques, tuberculinisme et cancérinisme.

Ecrivant peu, mais enseignant beaucoup oralement, il forma de nombreux élèves parmi lesquels deux se distinguèrent particulièrement, les Drs Rouy et Léon Vannier: Rouy développa le drainage complexiste de Nebel, Vannier, lui, sut analyser avec clarté, transcrire avec netteté et étudier scientifiquement les notions de Constitutions et de nouvelles Diathèses.

Le tuberculinisme surtout, le cancérinisme ensuite, firent l’objet d’un travail approfondi, rationnel. C’est à travers les œuvres de Léon Vannier que les médecins français apprirent ce qu’étaient les diathèses tuberculinique et cancérinique.

Dans son ouvrage Les Tuberculiniques et leur traitement homéopathique dont la première édition est datée de 1946, Léon Vannier trace un bref historique de l’attitude de l’homéopathie au regard de ce fléau mondial qu’est alors la tuberculose.

Il nous rappelle ainsi que soixante ans avant Koch, Hering en 1838 utilisa un isopathique dénommé « phtisine », préparé à partir de crachats de « phtisiques », pour combattre la phtisie.

1911 est une date à laquelle Léon Vannier attache une grande importance car il tient à préciser que lui aussi a identifié le tuberculinisme à cette même date:

« Quand pour la première fois, j’employai en 1911 cette expression: Tuberculinique, c’était au cours d’une conférence dans laquelle j’exposais comment j’avais pu guérir, avec des tuberculines diluées et un traitement homéothérapique associé, de nombreux malades atteints de fièvre continue, de migraines, de constipation, de rhumes fréquents, de troubles urinaires, de troubles névropathiques ou dentaires. Non seulement les malades avaient pu constater la disparition complète de leurs troubles, mais ils avaient remarqué l’amélioration considérable de leur état général, l’augmentation notable de leurs forces et de leur poids. Ces fébriles, ces migraineux, ces constipés, ces enrhumés, ces urinaires, ces nerveux, étaient en réalité des « prédisposés », des malades « en puissance de tuberculose » et, puisqu’ils guérissaient définitivement par des tuberculines diluées, puisque le résultat indiscutable se produisait chez tous les malades qui présentaient les mêmes signes cliniques, j’étais donc fondé à établir un rapport étroit et logique entre les troubles observés et la nature de l’agent thérapeutique employé, et à affirmer que ces malades étaient bien des « Tuberculiniques ». »

Il fera suivre cette déclaration de deux adages admirables de clarté et ciblant bien notre problème de terrain :

a) « La toxine précède le microbe. »
b) « Le tuberculinique précède le tuberculeux. »

Quant au cancérinisme, lui aussi identifié par A. Nebel. Léon Vannier publiera en 1952 son ouvrage Les Cancériniques.

Il y écrit dans son avant-propos:

« Toute maladie, quelle que soit sa nature, est toujours préparée. » Dans le cancer, la tumeur apparaît à un stade de l’évolution de la maladie, mais elle ne constituepas toute la maladie. Avant son apparition existe un état, qualifié précancer par les auteurs, état que nous appelons cancérinique, voulant signifier ainsi l’intoxination qui se manifeste pendant des années avant l’apparition de la formation tumorale. Après l’ablation de la tumeur, cet état cancérinique persiste, et il doit être traité pour empêcher les récidives, malheureusement trop souvent observées.

La Médecine Homéopathique qui exige pour l’efficacité de sa pratique la connaissance profonde du sujet qui réclame son application, et aussi, celle de la genèse réelle des troubles observés, apporte une thérapeutique dont l’intérêt réside dans son adaptation à l’individu. L’Homéopathie est une médecine qui s’applique à tous terrains non parce qu’elle préconise une thérapeutique omnibus, mais bien parce qu’elle sait distinguer chaque terrain, les conditions de vie et les prédispositions de chaque sujet.

Nous avons écrit autrefois: « Le tuberculinique est un prédisposé qui doit être reconnu, traité et immunisé ! » Il en est de même du cancérinique dont la prédisposition peut être combattue. La thérapeutique consiste à assurer l’élimination toxinique et à régler la fonction organique du sujet.

« Guérir un cancérinique c’est empêcher la production du cancer. »

Et plus loin il donne cette définition: « L’état cancérinique est l’ensemble des manifestations objectives et fonctionnelles, locales et générales qui indiquent un terrain cancérinique, un organisme en puissance de cancer. »

De même que le tuberculinisme n’est pas la tuberculose, mais bien une prédisposition particulière à la tuberculose, qui s’affirme autant par des signes objectifs et fonctionnels que par des réactions humorales, de même le cancérinisme n’est pas le cancer, mais bien une prédisposition particulière au cancer qui se manifeste par des signes cliniques, mais aussi et ceci est important – par des réactions humorales qui permettent d’orienter la thérapeutique nécessaire et d’en suivre les effets.

Tuberculinisme et cancérinisme sont des termes dont l’analogie se poursuit même dans leur signification. Tuberculose et cancer ont leur évolution similaire. Ces deux maladies présentent un état préparatoire qui précède l’apparition de la première manifestation lésionnelle, toutes deux se manifestent d’abord par un nodule, mais l’une aboutit à une fonte des tissus, l’autre à une infiltration. L’une détruit, l’autre construit, mais toutes deux présentent la même terminaison: généralisation humorale qui emporte le sujet. Toutes deux sont précédées d’un état préparatoire. Dans la tuberculose il est maintenant reconnu que l’intoxination précède l’apparition de la lésion. La toxine précède le microbe, écrivions-nous en 1931. Le bacille de Koch devient un signe infinitésimal de gravité, mais non plus la raison directe de l’évolution tuberculeuse. Il en est de même dans le cancer. C’est le malade lui-même qui prépare et fait son cancer, dont l’apparition et l’évolution sont en rapport avec les conditions de vie et de résistance du sujet. ».

On voit donc ainsi que sans rien renier de la géniale analyse d’Hahnemann, l’homéopathie s’est enrichie de nouvelles modalités réactionnelles diathésiques.

Rien n’empêche que dans l’avenir d’autres soient mises en lumière. La pathologie évolue et l’homéopathie n’est pas un système clos. En témoigne cette nouvelle et 6ème Diathèse dite Dysimmunitaire. (cf l’épouvantable expansion du sida et à la multiplication du nombre des séropositifs vivant heureusement de plus en plus longtemps.)

Il n’est pas possible d’ignorer les conséquences que cela aura sur notre génome et sur notre descendance. Une nouvelle maladie chronique est en train de naître.

Virus et prions marqueront l’espèce humaine.

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